El-Djazaïr.com : L’Algérie vit une situation politique inédite depuis le 22 février dernier. Parmi les revendications de la rue, la non-tenue d’élections. Pourquoi alors dans de telles conditions entrer dans la course à la présidentielle ?
Abdelaziz Belaïd : Un parti politique dans sa définition n’est ni une association caritative ni une association de bienfaisance. Comme je l’ai toujours souligné dans mes interventions nous avons créé un parti politique (Front El Moustaqbal en 2012) pour arriver au pouvoir. Ma candidature à la prochaine présidentielle n’est nullement motivée par un désir de pouvoir ou d’argent. Elle émane de mon parcours de militant, en tant que citoyen appartenant à la génération de l’indépendance. Aussi, le pays a besoin d’un leader, d’un président. La situation actuelle ne peut perdurer. La sortie de cette crise impose d’aller vers l’élection présidentielle qui constitue l’unique solution. Tout le monde le sait, mais peu de personnalités et politiciens ont eu le courage d’assumer ouvertement, chacun sa position. Nous, on l’a fait.
El-Djazaïr.com : Les Algériens rejettent toute élection. Qu’en pensez-vous et comment pourriez-vous les convaincre du contraire ?
Abdelaziz Belaïd : Premièrement, permettez-moi de vous rappeler que l’Algérie n’est pas Alger. Je viens d’animer un meeting à Illizi (la veille de notre rencontre) et d’autres dans bon nombre de wilayas du pays. Et croyez-moi qu’il y avait foules. Autant vous dire, il y a au sein de la société, une partie silencieuse qui ne s’est pas encore exprimée et qui attend le moment de le faire par les urnes. Deuxièmement : existe-t-il autre solution que les élections face au marasme que nous vivons actuellement ? Certains appellent à une période de transition. Ils sont libres de leur choix mais qu’ils nous disent de quoi sera faite cette période de transition ? Avec qui ? Et comment ? La position de notre formation politique quant à cette proposition a souvent été exprimée. Elle est claire et inchangée. Le Front El Moustaqbal reste attaché à la teneur de la Constitution pour régler la crise actuelle. La transition serait une aventure qui mènera le pays dans un tunnel obscur. L’instauration d’un Etat démocratique ne peut se faire avec des mécanismes non démocratiques. Si nous nous éloignons des dispositions de la Constitution, le pays perdra de sa crédibilité et cela ouvrira la porte à l’acharnement extérieur et à l’effondrement de l’économie nationale.
El-Djazaïr.com : Quelles seront vos priorités si jamais vous êtes élu à la magistrature suprême ?
Abdelaziz Belaïd : Au sein de notre parti politique, nous avons toujours appelé et œuvré pour une deuxième République basée sur la légitimité populaire pour tourner la page de la légitimité révolutionnaire en vigueur depuis soixante ans. Seulement, nous voulons que cette mutation se fasse avec délicatesse, sans violence, une des revendications affichées par le Hirak, depuis le 22 février dernier. Notre plus grand chantier serait de redonner confiance à l’Algérien, qui pendant vingt-ans a perdu tous ses repères. C’est entre nous Algériens que nous comptons reconstruire une nouvelle Algérie basée sur de nouvelles approches économique et politique, avec la participation de tous, sans exclusion aucune. Je dis bien, aucune. La solution à nos problèmes implique la contribution de tous à travers un dialogue constructif.
El-Djazaïr.com : Votre démarche est-elle basée sur un changement du système ou sur des réformes ?
Abdelaziz Belaïd : Nous ne voulons pas construire une deuxième République sur les décombres de la première. Il y a continuité. Il ne faut pas le nier. Tout n’est pas sombre dans notre pays. Depuis l’indépendance, il y a eu beaucoup de choses positives. On n’est pas du genre à remettre en cause tout ce qui a été construit. Il est plutôt judicieux de retaper ce qu’il y a lieu de retaper et de ramener de nouveaux éléments pour la construction de cette nouvelle République. Pour ce faire, je le répète encore une fois : on n’a d’autre choix que d’associer tout le monde pour asseoir un véritable projet de société.
El-Djazaïr.com : Peut-on s’attendre à une révision de la Constitution ?
Abdelaziz Belaïd : Absolument. Mais ce ne serait pas une Constitution taillée sur mesure comme ce fut le cas depuis toujours. Pour ce faire, nous nous engageons à associer tous les courants. Ce serait sujet d’un débat national.
El-Djazaïr.com : Pensez-vous que toutes les conditions soient réunies pour le bon déroulement de ce rendez-vous électoral ?
Abdelaziz Belaïd : Pas toutes mais le minimum. Nous sommes tout de même confiants quant à la bonne tenue de ce rendez-vous électoral.
El-Djazaïr.com :L’administration s’est complètement désengagée du processus électoral avec la mise en place de l’ANIE. Est-ce un gage, selon vous, pour la neutralité de la prochaine présidentielle ?
Abdelaziz Belaïd : C’est une bonne chose. Nous avons été d’ailleurs l’une des premières formations politique à revendiquer un tel organisme depuis bien longtemps. Quant à l’ANIE (l’Autorité nationale indépendante des élections), sa mise en place ne répond pas à 100% de nos aspirations, notamment dans sa composition humaine, mais disons que nous sommes satisfaits à 70%. Il faut que nous avancions et nous espérons aller encore plus loin après la présidentielle. Notre souhait, c’est que les membres de cette instance soient élus au niveau local. C’est de là qu’elle pourrait tirer plus de légitimité.
El-Djazair.com : Vous êtes le plus jeune de tous les candidas. Est-ce en une faveur ou le contraire ?
Abdelaziz Belaïd : C’est en ma faveur bien sûr. Un jeune peut travailler jusqu’à dix-huit heures par jour (rires). Je suis certes jeune vu mon âge mais dois-je vous rappeler que je suis dans la politique depuis 1983, alors que je n’avais que 22 ans. Tout au long de ces longues années de pratique politique, disons que j’ai acquis une expérience qui m’est bénéfique et qui peut faire la différence.
El Djazaïr.com : Les Algériens doivent-ils s’attendre à des changements dans la politique sociale de l’Etat ?
Abdelaziz Belaïd : Des milliards sont déboursés annuellement en Algérie dans ce qui est appelé le « social », mais faisons une pause et posons-nous la question : avons-nous vraiment atteint les objectifs et atténué le mal des classes défavorisées ? Moi, je vous dirais non. Alors, c’est pourquoi, il est temps de songer à une véritable politique sociale à l’exemple des pays scandinaves. Autrement dit, la plus grande question est celle de savoir comment répartir les richesses d’une manière plus équitable. Cela dit, la politique des subventions doit être inévitablement revue. Il est injuste qu’elles profitent aux riches au même titre qu’un simple smicard. Il est aussi anormal de voir des produits subventionnés passer les frontières quand ils ne servent pas dans la transformation dans nos usines et fabriques. Ce ne serait pas le seul et unique chantier auquel nous allons nous attaquer. Beaucoup est à faire.
El-Djazaïr.com : En matière de politique étrangère vous avez récemment renouvelé votre soutien à la cause sahraouie et palestinienne…
Abdelaziz Belaïd : Je suis pour toutes les causes justes mais dans nos relations avec le monde extérieur, seul l’intérêt de l’Algérie primera. Ce serait une relation basée sur le respect mutuel. Nous n’accepterons pas également toute ingérence dans les affaires internes
El-Djazaïr.com : Que pensez-vous de la réouverture des frontières terrestres avec le Maroc ?
Abdelaziz Belaïd : Si intérêt de l’Algérie est, je n’en vois pas d’inconvénient. Dans le cas contraire, pas question
El-Djazaïr.com : L’Algérie et la France ?
Abdelaziz Belaïd : Pas mal de choses nous lient l’un à l’autre mais l’Algérie n’est ni la Corse ni encore moins l’Ile de la Réunion.
El-Djazaïr.com : Que pensez-vous concrètement du rôle joué par l’ANP depuis le début des manifestations, le 22 février dernier ?
Abdelaziz Belaïd : L’ANP intervient quand les politiciens ont failli et ce depuis l’indépendance et non pas depuis le début de la contestation populaire. Notre armée s’est de tout temps acquittée de son devoir envers la Nation. L’Histoire en est témoin.
F. H.